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Séduit par l’histoire

14791 E.G.

 

À la mort de cet empereur (César Auguste), son testament fut lu publiquement devant le sénat. Il laissait en utile héritage à ses successeurs le conseil de circonscrire l’Empire aux limites que la Nature semblait avoir elle-même tracées pour former à jamais ses remparts et frontières ; à l’occident, l’océan Atlantique ; au nord, le Rhin et le Danube ; à l’orient, l’Euphrate et, au sud, les sables brûlants de l’Arabie et de l’Afrique.

Fort heureusement, le système conçu par la modération d’Auguste convenait aux vices et à la lâcheté de ses successeurs. Dominés par l’attrait du plaisir, ou occupés par l’exercice de la tyrannie, les premiers Césars ne se montraient que rarement aux provinces et à la tête des armées. Ils n’étaient pas non plus disposés à souffrir que leurs lieutenants leur usurpent, grâce à leurs talents et leur valeur, la gloire dont les privait leur indolence. La réputation militaire d’un sujet était assimilée à une atteinte insolente contre la dignité impériale. Les généraux devaient se contenter de garder les frontières qui leur avaient été confiées : leur devoir et leur intérêt leur interdisaient également d’aspirer à des conquêtes qui leur auraient été aussi fatales qu’aux barbares vaincus… Germanicus, Suetonius Paulinus et Agricola furent arrêtés et rappelés alors qu’ils remportaient leurs victoires. Corbule fut mis à mort.

 

Extrait de Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain d’Edward Gibbon, volumes I-V, édition originale (anglais) 1776-1788 ap. J.-C., traduction des Presses Archaïstes de Colmuni 76398 ap. J.-C.

 

 

Qu’il n’eût rien résulté de la mise à jour de son fam avait assagi Eron en lui donnant matière à réflexion. Après Neuhadra ils feraient escale à Sewinna, un des premiers mondes à avoir été colonisés dans ce secteur de l’Espace. Brusquement conscient qu’il cesserait sous peu de dépendre de qui que ce soit, Eron avait tendance à s’isoler à bord de ce vaisseau. Il s’entraînait à prendre seul des décisions… tout en sachant qu’il pourrait s’adresser à l’intraitable Murek en cas de besoin. Il accordait de moins en moins d’importance à son fam, comme s’il avait cessé de se retenir à un bout de bois flotté pour rester à la surface de l’océan et avait décidé d’apprendre à nager. Il évitait également Nemia, sauf pour l’interroger sur son Œuf, un objet si étrange et fascinant qu’il ne pouvait s’empêcher de le caresser. Le ressentiment que lui inspirait son précepteur décroissait.

Il ne prêtait plus attention aux étoiles. Sa passion pour les télescopes avait cédé la place à de l’indifférence. Lorsqu’on avait observé une étoile, on les avait toutes vues. Il était la risée du groupe disparate d’hommes à tout faire et de spécialistes des météoroïdes réunis par Glatim. Lorsqu’il leur avait proposé de les aider, pendant un entresaut, ne l’avaient-ils pas envoyé leur chercher une nanoclef pour gauchers ? Ça lui apprendrait à vouloir être serviable avec des buveurs de pisse ! Sans oublier leur chasse au snark ! La prochaine fois qu’ils lui demanderaient d’aller placer des pièges pour les débarrasser des snarks qui grignotaient les circuits électriques, il mettrait du sel dans leur sucrier !

Il prit l’habitude de s’isoler sur une console inutilisée (découverte pendant qu’il cherchait la nanoclef pour gauchers) coincée dans un placard de stockage à double niveau au-delà des racks de mémoire de la bibliothèque. Faire abstraction des étoiles n’était pas chose facile, même dans ce milieu confiné où seul un écran le reliait aux banques de données du vaisseau. Elles contenaient des monceaux de détails sur des millions de systèmes stellaires, comme un registre de police de tous les blocs de roche de l’univers assimilés à des fauteurs de troubles. Une attention particulière était accordée aux planètes géantes d’où venait la pire racaille qui rôdait alentour.

Il réussissait malgré tout à faire abstraction de la mécanique céleste car ces archives contenaient également l’histoire des régions de l’espace traversées par ces vagabonds cosmiques. C’était leur complément, comme des peluches qui s’accumulaient au fil du temps dans une lavomatiquerie : expéditions cartographiques, crises politiques dues à des événements astronomiques, échauffourées provoquées par la nova d’Epsilon Oramaist, jungles luxuriantes de la lune d’une planète presque aussi grosse qu’une étoile, détails secondaires à n’en plus finir. Parfois, le seul flocon de poussière digne d’intérêt était une anecdote téléchargée par un des hommes de Glatim pour des motifs personnels, bien des années plus tôt, et que nul ne s’était donné la peine d’effacer.

Il lança une recherche sur l’Archipel sewinnien, pour la simple raison qu’ils feraient leur première escale sur Sewinna. Ce qu’il trouva de plus intéressant, c’était qu’un vice-roi encore plus cupide que les autres avait osé l’impensable et fait sécession.

Ce récit, rédigé seulement quelques années après les faits, racontait cet événement historique selon le point de vue d’un jeune soldat appartenant à la noblesse et resté fidèle aux anciennes valeurs… et aussi aveugle que l’auteur aux conséquences de cette décision politique. Eron fut fasciné parce qu’il ne trouvait dans ce texte ni des tropes modernes ni le recul apporté par la psychohistoire. Tout le déconcertait, même les intermèdes musicaux… des mélodies d’une beauté à donner des frissons et aux paroles si naïves qu’il ne pouvait en croire ses oreilles. Il se famféra la totalité du livret pour l’analyser pendant sa veille de nuit et utiliser l’imaginateur de son fam pour projeter sous la couchette surplombant la sienne des images hautes en couleur des batailles et autres affrontements qui jalonnaient cette aventure. Il aimait tout particulièrement les scènes de sexe débridé et les hommes pleins de fougue qui dégainaient leur kick pour un oui ou pour un non !

Le vice-roi Sorcier (un personnage historique) avait des vues sur le Trône galactique. L’auteur supposait (sans doute à juste titre) qu’il considérait l’enfant récemment couronné Empereur comme étant trop faible pour mater un mouvement séparatiste tellement éloigné du cœur de son Empire. Un siècle plus tôt, dans des circonstances identiques, son grand-oncle n’avait-il pas renoncé au District secondaire de Nacréome ? C’était une dynastie d’individus d’une impensable veulerie. L’Empire avait besoin de sang neuf, de chefs plus énergiques. Comme lui. Soumettre les Sewinniens aux privations accompagnant les préparatifs d’une guerre poussa toutefois le peuple à la révolte. (Dans cette œuvre de fiction, le héros prend la tête des insurgés et les exhorte à rester loyaux au gouvernement central, à faire leur devoir en bénéficiant de toute évidence du soutien inconditionnel de l’auteur.)

Mais, pendant que ce vaillant personnage chassait de la planète Sorcier et les survivants de sa garde personnelle, l’enfant Empereur décidait d’étouffer la sédition en envoyant vers Sewinna le plus impitoyable de ses amiraux. L’armada de la Flotte impériale arrivait à destination, des soudards fermement déterminés à piller ce monde et guidés par un homme qui rêvait de devenir vice-roi. (Ce qui donne lieu à des scènes de batailles bien trop spectaculaires pour pouvoir être projetées sur le dessous d’une couchette !)

La contre-révolution loyaliste fut écrasée par l’amiral qui avait comme son prédécesseur une ambition sans bornes. Les Sewinniens souffrirent horriblement. (Le héros poursuit un combat désespéré pendant que ses compatriotes subissent ce revers et, finalement, alors que le sang de son peuple coule à flots, il tente d’assassiner le nouveau vice-roi et échoue lamentablement. Son honneur, mis à mal par ce cuisant revers, réclame vengeance sinon sur l’amiral au moins sur le jeune tyran qui a envoyé ces troupes sanguinaires. Lors d’une scène d’action à couper le souffle, le vengeur atteint en secret Sublime Sagesse où il réussit à assassiner l’enfant Empereur. Dans la scène finale de ce mélodrame sans fondement historique, nous voyons l’enfant Empereur agonisant et son assassin s’étreindre et se confesser mutuellement leurs péchés peu avant que des membres de la Garde impériale ne viennent réduire notre héros en cendres.)

Eron se prenait pour un metteur en scène et son fam s’emballait pour créer des décors, des costumes, des figurants et les rouages d’un Empire à la démesure inconcevable. Il alla même jusqu’à remanier certains dialogues et, tout particulièrement, les paroles des chansons. Il ne ferma pas l’œil de cette veille de nuit et rata le petit déjeuner qu’il aurait dû prendre en compagnie de l’équipage dont il était devenu le souffre-douleur.

Eron consacra les veilles suivantes à consulter diverses sources pour s’informer de l’histoire de Tien le Jeune, 12216-12222 E.G., et il découvrit que toutes les informations sur son véritable assassin avaient disparu cent seize ans plus tard, lors du Grand Sac de Sublime Sagesse. Il était précisé que son envoyé, l’amiral qui avait si cruellement et injustement puni les Sewinniens, avait été égorgé par le seul fils survivant d’une famille qu’il avait fait emprisonner et torturer.

Ce récit alimenta l’intérêt qu’Eron commençait à porter à l’histoire parce qu’il avait été écrit seulement un siècle avant le Grand Sac et que son auteur, bien que visiblement politisé, avait appartenu à un courant de pensée alors majoritaire pour lequel la disparition de l’Empire était inconcevable – il était éternel quels que soient les conflits –, ce qui était sidérant car on trouvait dans cette histoire la gangrène qui serait sous peu fatale au premier Empire ! Le Fondateur avait annoncé ce qui se produirait et était mort depuis des siècles… mais la Cour impériale et l’humanité ne l’avaient pas écouté ! Même ceux qui avaient parlé de la décadence finale – ceux qui l’avaient vécue ! – n’avaient pas eu conscience du désastre qui se profilait à l’horizon !

Et il se demanda s’il n’y avait pas une évidence comparable concernant sa propre époque, une vérité qui leur crevait les yeux mais qu’ils ne voyaient pas. Le monde réel était-il invisible aux perceptions émoussées d’un enfant conditionné à considérer la Galaxie à travers des clichés gandriens ? N’était-ce pas une période de renaissance ? Ne se dressait-il pas au sommet d’une déclivité qu’un glissement de terrain emporterait sous peu, les précipitant tous dans un tourbillon fatal ? Avait-il devant lui un plateau dont la stabilité ne serait pas ébranlée avant un million d’années ? N’y avait-il pas dans un recoin un snark que les psychohistoriens aveuglés par leur suffisance ne pouvaient voir ? Il n’en savait rien. Il avait l’impression d’être frappé de cécité. Conscient de son ignorance, il était rongé par la curiosité.

L’hypervaisseau atteignit Sewinna et se plaça en orbite. Eron s’éclipsa pendant que les hommes de Glatim se procuraient ce dont ils auraient besoin une fois à Trefia. Ce n’était qu’une manifestation d’indépendance, une encoche dans la tablette où se répertoriaient ses actes de rébellion, mais elle était cette fois motivée par le désir passionnel de se promener dans la forteresse de pierre d’où tout l’Archipel sewinnien avait été autrefois gouverné. Les intrigues de l’histoire avaient germé dans l’humus de cette redoute ; l’auteur avait été un des francs-tireurs qui avaient entamé le travail de sape et Eron ressentait le besoin de fouler ce sol et de caresser ces piliers. C’était un lieu réel. (En quoi différait-il de la version issue de son imagination fertile ?) Un bon sens croissant avait tempéré sa révolte et il comptait regagner le vaisseau bien avant l’appareillage. Néanmoins, laisser son précepteur se ronger un peu les sangs n’était pas pour lui déplaire.

Arrivé dans la vallée, sous la forteresse érigée dans les hauteurs de cette montagne, l’aura d’histoire qui la nimbait le dégrisa. Amoureusement reconstruite à partir de ses ruines pour devenir la Bibliothèque historique de Sewinna, elle surplombait un paysage verdoyant de forêts et de fermes industrielles. Eron oubliait sa rébellion contre son tuteur au fur et à mesure qu’il gravissait les cent marches de l’escalier processionnel… assez larges pour permettre à dix vingtaines de soldats impériaux de les emprunter de front ! Il essaya de se mettre dans la peau de ces hommes mais il dut renoncer car son fam ne pouvait se dupliquer deux cents fois en un alignement de soldats marqués par les combats qui se déplaçaient sur ces degrés au pas de l’oie, le regard rivé loin devant eux.

Ce fut quant à lui avec déférence qu’il franchit le portail et pénétra dans l’étrange clarté cristalline de la basilique hautaine où son défi insignifiant acheva de se ratatiner pour finir par mourir d’humiliation lorsqu’il atteignit les bureaux du représentant de l’Empire. Il resta figé, rendu muet par le respect : tout avait débuté ici, dans cette pièce de pierre polie, une révolte contre un Empire stellaire établi depuis douze millénaires, une puissance qui avait imposé ses volontés à un ciel nocturne trop vaste pour être englobé du regard !

Le logement du vice-roi avait reçu un mobilier assorti au décor du cabinet de travail. Rien n’y manquait, pas même les modulivres ivroïdes antiques et leur lecteur, des écrans maîtres, un énorme bureau, un trône, des cartes et des tapis. Un étalage d’audace ! En raison de sa prudence maladive, un Gandrien eût seulement osé imaginer défier un tel homme… car toute action avait son karma à double tranchant, la gloire ou la tragédie en fonction du lancer de dés. En l’occurrence une tragédie qu’Eron pouvait se représenter aisément… le vice-roi Sorcier en disgrâce exilé dans les étoiles rouges mineures de l’Archipel avec les rescapés de ses unités impériales devenus des pirates, ses ambitions réduites en lambeaux… son remplaçant plein d’arrogance qui prenait des mesures de rétorsion contre les autochtones et qui ordonnait, bien assis sur son trône, l’exécution de millions de malheureux pour donner une leçon futile… et qui serait en son temps vengée par son assassinat, en ce même lieu, alors qu’il courait pour atteindre la protection qu’aurait pu lui offrir son bureau.

Le temps passé s’écoulait et Eron restait figé dans ses pensées, fasciné par les innombrables variations qu’il découvrait sur ce thème. À l’Empereur immature assassiné avant d’avoir atteint la fleur de l’âge avait succédé l’Empereur le plus puissant de ce siècle de déclin. Sous l’égide de ce grand monarque, le vice-roi suivant avait armé la dernière grande flotte impériale avant la Chute, une armada dont cette pièce avait également été le quartier général. Cet homme, trop brillant et dangereux pour être apprécié à la cour, avait attaqué Lointaine au nom de l’Empire. Son offensive contre cette puissance en pleine expansion avait été couronnée de succès, mais les nouveaux pouvoirs de l’Empereur s’étaient en fin de compte révélés dangereux pour son état-major. Soldats, vaisseaux et flottes… tout avait été emporté dans le torrent impétueux de l’interrègne !

Une démonstration des pouvoirs du Fondateur. Deux millénaires et demi plus tard, il ne subsistait de cette période de turbulences que cette forteresse de pierre et ses spectres dont les gémissements d’affliction parlaient de psychohistoire parmi les ombres d’un passé oublié, avant d’être partiellement ressuscitée grâce à l’enthousiasme désormais tempéré de quelques érudits.

Ce fut un Eron Osa dégrisé qui appela le vaisseau pour informer les hommes de Glatim du lieu où il se trouvait et préciser quand il regagnerait le bord, plus tôt qu’il n’en avait eu l’intention. Il déclara, pince-sans-rire, qu’il était allé consulter la Bibliothèque centrale de Sewinna afin de découvrir où il pourrait se procurer des nanoclefs pour gaucher. Tous rirent. Ce fut un précepteur soulagé qui prit le comm pour lui rappeler sèchement qu’ils appareilleraient sans lui s’il n’était pas là à l’heure prévue. Eron fit une promesse. Il s’engagea même à donner entre-temps de ses nouvelles.

Il regagna le bord avant l’appareillage mais une veille plus tard qu’il ne l’avait annoncé, et il les joignit pour les en informer. Sur le chemin du spatioport une librairie géante l’avait capturé et gardé captif dans sa section d’histoire. Deux livres sur l’économie préimpériale avaient fait fondre la quasi-totalité de son pécule mais le troisième, un véritable trésor, s’était trouvé sur le présentoir des soldes, en vrac avec les invendus, principalement des médias bon marché pour enfants préfamiques.

L’Histoire de la décadence et de la chute… était imprimée sur du cellomet délicat, avec des titres à la typographie soignée. Elle avait une solide reliure et en quatrième de couverture un addendum électronique incluant toutes les éditions précédentes et de nombreux documents ayant servi à la compilation de cet ouvrage, le tout dans les alphabets originaux et complété de tables de corrélation. Il y avait des caractères qu’il n’avait encore jamais vus ! Il ignorait à quand remontait ce livre mais il devait être vraiment très ancien.

Son précepteur grogna dès qu’il vit ses achats. Eron ne lui présenta aucune excuse mais essaya néanmoins d’obtenir son pardon pour être parti sans dire un mot. Murek le fit taire aussitôt.

« Nous sommes presque arrivés à destination. Quand nous serons à Lointaine, tu seras ton propre maître. Autant commencer tout de suite. L’Institut pédagogique Asinia ne dirige pas son établissement in loco parentis ; qu’ils aient douze ou cinquante ans, les élèves sont libres d’étudier ou de fainéanter. Tes seules certitudes sont qu’ils débiteront ton créditstick chaque semestre et que si tu n’as pas étudié ils ne te remettront pas ton diplôme. Si tu pars, ils ne te rechercheront pas. Tu n’as plus rien à fuir. »

Il prit le gros livre et le feuilleta comme s’il n’avait pas l’habitude de manipuler du cellomet.

« On dirait que tu t’es fait avoir ! Regarde quand il est censé avoir été écrit. »

Il désigna les dates 1776-1788 et rit.

« Ce sont les tout débuts de l’histoire impériale, dit Eron, craintif.

— Non, non. C’est un livre thérien. Les Thériens n’ont jamais adopté le calendrier impérial et calculent les dates à partir de la naissance d’un des leurs qui, après avoir été assassiné, est monté dans le chaos en faisant un bang et a créé les galaxies pour que l’homme puisse les coloniser. Et, en voyant que c’était bon, il a appelé ça le ciel. Une des activités lucratives de Ther, le monde où ton livre a été publié, c’est de rouler les touristes naïfs en leur fourguant des choses vieilles de… (une pause)… sept cent quarante-trois siècles ! » Il partit d’un gros rire. « Je serais très étonné qu’il y ait eu à l’époque un Thérien sachant lire ou seulement se déplacer autrement qu’à quatre pattes. Ces primates ont toujours une démarche sidérante de créatures arboricoles et ils cherchent encore des perchoirs sur lesquels se jucher. Bon nombre d’historiens soutiennent que leur prétendue littérature ancienne relève de la supercherie, que tout a été écrit après leur croisement avec leurs conquérants Êta Cumingiens… lorsqu’ils ont appris à compter sur leurs doigts. » Il agita l’index vers le livre de ce Gibbon. « J’espère que c’est une copie… Je ne crois pas que le cellomet se conserve aussi longtemps s’il n’est pas gardé sous hélium.

— Ne venons-nous pas de Ther ?

— C’est ce qu’ils racontent… Comme les ressortissants de toutes les autres planètes du secteur de Sirius.

— Vous pensez que c’est faux ? »

Son précepteur haussa les épaules.

« Ce n’est pas impossible. Ils ont des gènes simiens et une colonne vertébrale de quadrupèdes à l’appui de leurs dires. Pourquoi ne viendrions-nous pas d’un monde de vantards ? Ce serait à se tordre, pas vrai ? S’il est difficile de se prononcer, c’est parce que la moitié des escrocs de la Galaxie sont originaires de Ther. Leur arnaque préférée consiste à vendre un objet fabriqué selon eux avant le premier voyage hyperspatial ou, si tu leur parais vraiment crédule, avant le voyage spatial. On trouve sur Ther des usines où ils produisent ces antiquités en série. C’est probablement un pauvre malheureux enchaîné à une table qui a écrit ce livre il n’y a pas cinq siècles.

— Il est authentique. Lisez une page et vous verrez ! »

Eron lança le livre à son précepteur qui l’ouvrit au hasard.

Scogil n’avait jamais famchargé un lexique d’anglique mais au moins put-il lire l’introduction rédigée en galactique standard aux tournures archaïques par un éditeur pompeux.

« Cette contrefaçon ne doit pas remonter à plus de deux mille ans… Je pense à une arnaque de l’interrègne. Les Thériens sont incontestablement les plus habiles faussaires de toute la Galaxie. Ils réussissent même à trafiquer le radiocarbone pour tromper les systèmes de datation, mais… qui se donnera la peine de lire tout ça pour y trouver de quoi les démasquer ? Il n’est pas famférable. » Il le feuilleta jusqu’au bout. « Et il a trois mille pages !

— Je peux le lire en un après-midi !

— Avec tes yeux ? Je te souhaite bon courage. À propos de lecture, si tu souhaites que Nemia lise ton avenir peu prometteur dans les astres, sache que tu es né en temps de Ther… » Il fit un calcul mental, en comptant mille cinquante-sept années thériennes pour un millénaire galactique standard. « À la deuxième heure, le trois fébruyer de l’an 80362 ap. J.-C. Ne me demande pas sous quel signe zodiacal… Ça, c’est son affaire. »

Eron reprit son livre d’un geste décidé et alla pour s’éloigner furtivement.

« Pas si vite, jeune homme. Nous ne sommes pas encore quittes. As-tu imaginé que nous passerions tout Sewinna au peigne fin pour te retrouver ?

— Non.

— Nous t’aurions abandonné. Par nécessité.

— Je sais. C’est bien pour ça que je suis ici, fit Eron, penaud. J’ai réfléchi.

— Il était temps. »

Psychohistoire en péril, I
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